La caisse

La lutte contre l’insécurité alimentaire est une des missions principales de lassociation. Caracol œuvre aux côtés des instances de l’aide alimentaire (Banque Alimentaire, Restos du Cœur, RERTR, Croix-Rouge…) au sein de groupes de travail du Projet Alimentaire Territorial (PAT) de la communauté d’agglomération du Grand Cahors, pour répondre à l’urgence du quotidien face aux inégalités d’accès à l’alimentation.

Pour répondre sur le long terme à l’injustice alimentaire, l’association développe un modèle de production alimentaire (maraîchage bio-intensif agroécologique) et un modèle de distribution spécifique : une caisse de sécurité sociale de l’alimentation (CSSA).

Notre modèle de CSSA s’appuie sur (i) le constat de l’inadaptation du système de l’aide alimentaire à résoudre l’insécurité alimentaire, (ii) un ralliement au projet de Sécurité sociale de l’alimentation couplée à une analyse des limites des modèles de caisse existants.

1. Dépasser le modèle de l’aide alimentaire 
2. Pour une justice alimentaire et environnementale 
3. Vers une Sécurité sociale de l’alimentation 
4. Un modèle de caisse innovant

1. Dépasser le modèle de l’aide alimentaire

Une personne est en situation d’insécurité alimentaire lorsqu’elle n’a pas un accès régulier à suffisamment d’aliments sains et nutritifs pour une croissance et un développement normaux et une vie active et saine. Cela peut être dû à l’indisponibilité de nourriture et/ou au manque de ressources pour se procurer de la nourriture. Alors que le risque d’être en insécurité alimentaire augmente quand le revenu diminue, la relation entre pauvreté monétaire et insécurité alimentaire n’est pas systématique. En France, l’insécurité alimentaire touche particulièrement les femmes célibataires avec de bas revenus, connaissant de fortes contraintes financières souvent liées au logement (Observatoire national de la pauvreté et l’exclusion sociale, 2010). L’insécurité alimentaire touche 16 % de la population en 2022, contre 9 % en 2016 (Crédoc, 2023).

Encadrée par des politiques publiques, l’aide alimentaire est entièrement déléguée au secteur associatif. Ce dernier doit mobiliser des moyens importants pour récupérer, stocker, trier, distribuer dans des délais courts les denrées provenant essentiellement de dons (produits du Fonds européen d’aide aux plus démunis, produits de « la ramasse »). Le don de surplus agro-industriels financé par le crédit d’impôt est le moyen privilégié d’approvisionnement des instances de l’aide alimentaire. Le financement public ne représente que 30 % des ressources de l’aide alimentaire (Commission des finances, 2018), ce qui contraint les associations à dédier une part croissante de leurs ressources à la recherche de financements privés. De plus, les récentes politiques publiques contre le gaspillage (loi Egalim, 2018) ont pour conséquence de réduire la quantité et la qualité des denrées récupérées (Note d’analyse du bilan des EGA, 2020). Ainsi, malgré des approvisionnements fluctuants en produits de mauvaise qualité, les personnes bénévoles des instances d’aide alimentaire cherchent tant bien que mal à garantir la satisfaction des besoins alimentaires des bénéficiaires.

L’aide alimentaire présente des déséquilibres nutritionnels importants (Santé publique France, 2019). Elle ne couvre que 40 % des besoins énergétiques des personnes bénéficiaires, qui doivent donc se procurer les 60 % restant au sein du circuit commercial (Darmon, Gomy, & Saïdi-Kabeche, 2020). Les structures d’aide favorisent les aliments secs, qui ne risquent pas de se périmer et donc d’être gaspillés. Les protéines animales, les acides gras saturés et les sucres libres sont surreprésentés, les fibres et certains acides gras essentiels, vitamines et minéraux sont en quantité insuffisante (Le Morvan & Wanecq, 2019).

Enfin, la couverture territoriale de l’aide alimentaire est inégale. Sur 13 millions de personnes en insécurité alimentaire (Secours populaire, 2017), 5,5 millions bénéficient de l’aide alimentaire (Inspection générale des affaires sociales, 2018), ce qui implique que 7,5 millions de personnes en insécurité alimentaire doivent se procurer 100 % de leur alimentation au sein du circuit commercial.

Aujourd’hui, les instances de l’aide alimentaire sont confrontées à une augmentation rapide du nombre de bénéficiaires. En 2023 « 32 % de la population a des difficultés à se procurer une alimentation saine permettant de faire 3 repas par jour » (Secours Populaire, 2023).

2. Pour une justice alimentaire et environnementale

Les instances de l’aide alimentaire mènent au quotidien des actions palliatives en l’absence d’une politique de l’alimentation capable d’instaurer une véritable justice alimentaire. Caracol défend un accès universel à l’alimentation, c’est-à-dire un accès sans condition de revenu à une alimentation permettant, par la quantité et la qualité, la satisfaction des besoins nutritionnels.

D’après la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (Article 25-1) « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. »

En France, ce droit est réaffirmé dans l’article 230-1 du code rural : « La politique publique de l’alimentation vise à assurer à la population l’accès, dans des conditions économiques acceptables par tous, à une alimentation sûre, diversifiée, en quantité suffisante, de bonne qualité gustative et nutritionnelle, produite dans des conditions durables. Elle vise à offrir à chacun les conditions du choix de son alimentation en fonction de ses souhaits, de ses contraintes et de ses besoins nutritionnels, pour son bien-être et sa santé. »

Il semble important de souligner que cette politique publique nationale est censée mettre en œuvre des actions concernant notamment :

« ― la sécurité alimentaire, l’accès pour tous, en particulier les populations les plus démunies, à une alimentation en quantité et qualité adaptées ;

― la sécurité sanitaire des produits agricoles et des aliments ; (…)

― les modes de production et de distribution des produits agricoles et alimentaires respectueux de l’environnement et limitant le gaspillage (…) »

De fait, l’aide alimentaire n’a pas vocation à garantir un accès égalitaire à une alimentation saine et durable, encore moins à répondre aux échecs du modèle agro-alimentaire productiviste et aux défis environnementaux contemporains. Comme l’exprime Bénédicte Bonzi, dans une société démocratique l’urgence consiste moins à donner de la nourriture que des droits (La France qui a faim, Seuil, 2023). Un changement de paradigme s’impose, d’une aide pour les plus démuni.e.s vers un droit universel à l’alimentation (Paturel & Ndiaye, 2020).

Notre démarche consiste à inscrire le secteur agricole dans une dynamique de justice alimentaire et environnementale, qui donne à chaque personne les moyens d’exercer son droit à l’alimentation. Un système alternatif de production et de distribution alimentaire, résolument égalitariste et écologiste doit être développé. Ce modèle doit s’appuyer sur une transition agroécologique majeure capable d’apporter des solutions directes à l’érosion de la biodiversité, la précarité des paysan.ne.s, et la disponibilité alimentaire dans une logique de santé globale. Nous proposons comme solution : une production locale et bio par des fermes associatives dédiées au droit à l’alimentation.

3. Vers une Sécurité sociale de l’alimentation

Depuis 2019, le projet de Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) est porté par un collectif regroupant une quinzaine d’organisations et une quarantaine d’expérimentations locales. Les membres du collectif partagent plusieurs constats : une inégalité d’accès à une alimentation saine, une production agricole orientée vers le profit plutôt que la souveraineté alimentaire, une aide alimentaire comme « poubelle éthique » de l’agro-industrie [voir une récente publication de la confédération paysanne].

Des travaux initiés dès 2017 par l’ISF-Agrista insistent sur la nécessité de « socialiser l’alimentation » pour répondre aux enjeux agricoles et alimentaires. La socialisation de l’alimentation doit reposer sur une véritable politique alimentaire. En effet, si l’accès digne à une alimentation est un droit, tout comme l’accès aux soins, celui-ci devrait engager des actions politiques similaires qui en sont les garantes. Selon le collectif pour une SSA, ces politiques doivent permettre une « démocratie alimentaire » dans laquelle les personnes décident de leur alimentation et du système qui la produit [voir la présentation historique du collectif].

Le fonctionnement de la SSA repose sur 3 piliers :

  • universalité : un accès à l’alimentation de son choix pour toutes et tous quelque soit son statut socio-économique ;
  • financement par cotisation : à l’instar du système de santé, la sécurité sociale de l’alimentation vise à assurer une alimentation à chaque individu grâce à un système de cotisation équitable, la collecte de cotisations via des caisses primaires de SSA permettra l’attribution d’une allocation identique pour tout le monde ;
  • Conventionnement démocratique : des personnes décident en assemblées collectives de leur alimentation, des types de produits qu’ils souhaitent manger et des paysan.ne.s à conventionner ; c’est la démocratie alimentaire.

Concrètement, la Sécurité sociale de l’alimentation serait financée par un ensemble de cotisations à des caisses primaires gérées démocratiquement au niveau local. Ces caisses (CSSA) conventionnent des producteurs et productrices et redistribuent les cotisations afin de garantir l’accès pour les « mangeur.euse.s » à des produits conventionnés pour une valeur de 150€ par mois et par personne.

Figure 1 : Schéma de la caisse alimentaire Caiss’Alim à Toulouse

4. Un modèle de caisse innovant

Si Caracol rejoint ce collectif sur l’analyse de la situation et sur la solution d’une Sécurité sociale de l’alimentation, notre association est en désaccord avec certains principes de fonctionnement et de mise en œuvre des « piliers » de la SSA.

D’une part, le conventionnement tel qu’il est opérationnalisé dans les caisses existantes ne permet ni de sortir l’alimentation du domaine marchand, ni les paysan.ne.s de leur précarité. Rappeler que l’alimentation est un droit et non une marchandise n’est pas uniquement un slogan. En conséquence, la production alimentaire ne devrait plus aboutir à des échanges économiques de type marchand comme la vente. En conséquence également, le revenu des paysan.ne.s ne devraient plus être dépendant de la marchandise qu’ils et elles vendent en concurrence avec leurs collègues. Au contraire, ils et elles devraient être rémunéré.e.s directement pour leur fonction, celle de garantir un droit à l’alimentation en la produisant selon des critères définis collectivement.

D’autre part, l’exercice d’un droit à l’alimentation sera satisfait seulement lorsque nos besoins nutritionnels seront entièrement satisfaits par une alimentation de qualité. L’accès à une alimentation choisie n’est possible que dans un système qui en donne les moyens. Pour cela, la notion de « démocratie alimentaire » ne doit pas se limiter à ce que les personnes « souhaitent manger ». On peut en effet interroger ce qui oriente, contraint, ce « souhait » : connaissances, classe sociale (l’internalisation du désavantage conduit à des comportements qui reproduisent ce désavantage), etc. Ce « souhait » peut aisément conduire à la reproduction des inégalités. La démocratie alimentaire doit viser la production d’une alimentation centrée sur la satisfaction de nos besoins nutritionnels. Autrement dit, l’enjeu est moins le « libre choix de ce que l’on met dans notre assiette » que l’assurance d’y mettre ce qui pourra assurer notre bien-être et notre santé. Il s’agit davantage d’impliquer la population dans le choix d’un modèle de production juste, que dans l’achat d’aliments.

L’initiative de caisse portée par Caracol innove sur trois points :

  1. Les cotisations financent directement la production alimentaire. Elles servent à garantir un salaire stable et digne aux producteurs et productrices, subvenir aux frais des fermes alimentant la caisse, et favoriser l’installation de nouvelles micro-fermes. Elles ne servent plus à redistribuer les cotisations pour financer l’achat de produits dans une logique de marché.

  2. La production alimentaire est fournie aux cotisant.e.s sans autre contrepartie. Les denrées alimentaires reçues sont bio, locales, ajustées aux besoins nutritionnels (quantité et qualité).

  3. Le régime juridique des fermes sort du régime de l’entreprise. Afin de garantir la non lucrativité des fermes, ces dernières adoptent le régime juridique de l’association. Les paysan.ne.s sont salarié.e.s d’associations exploitantes agricoles gérées de manière collégiale.

Figure 2 : La CSSA de Caracol

Concrètement, avec la ferme de Merlan, Caracol pourra garantir à 200 personnes la satisfaction de leur besoin en légumes et fruits pour une cotisation de 50 € par mois.

Notre modèle de CSSA se distingue ainsi en garantissant le revenu des paysan.ne.s ainsi qu’une alimentation adaptée en quantité et en qualité. Il permet de sortir véritablement l’alimentation du domaine marchand pour l’inscrire dans celui de la solidarité, de la justice alimentaire et environnementale.